On ne sait jamais quand on frappe à une porte dans quelle aventure on va se retrouver car c’est une réelle aventure humaine, les gens n’ayant plus de masque évoquent leur vie passée, leurs moments difficiles dans le présent, et le lendemain qui n’existe plus.
Nous recueillons des histoires extraordinaires, dures, surprenantes, comme de vrais cadeaux qui nous sont déposés. Nous écoutons les regrets, les angoisses de laisser les autres, les souhaits multiples mais souvent de réconciliation, nous parlons de la vie toujours, de la mort aussi.
Nous sommes les dépositaires d’une histoire de vie et comment oublier …
- Cet homme qui ne voit plus ses enfants, qui les attendra jusqu’au bout disant d’où est-ce que je viens, où est-ce que je vais, qu’ai je fait de ma vie ? lui demander ce qu’il en pense… et finalement il estime que sa vie a été malgré tout riche et dense, qu’il a fait du mieux qu’il a pu,
- Et cette dame qui pleurait et criait, se disait abandonnée, se demandait ce que je pouvais lui apporter, je lui ai proposé ma main et ma présence, elle m’a répondu « quand on n’a rien on prend ce qui passe ». Nous avons fait un long bout de chemin dans un bel échange dans le calme,
- Je pense à Pierre qui avait voulu revoir son chien une dernière fois, un moment émouvant plein de tendresse et de confidences,
- Et cette personne dans le coma à qui je disais à l’oreille que j’étais là pour un moment pour elle toute seule, à qui j’ai pris la main et au moment de repartir elle s’accrochait à ma main,
- Et Thomas, 11,5 ans qui m’a dit pendant des mois « pour la Fêtes des Mères tu viendras prendre l’argent de ma tirelire pour offrir des fleurs à ma mère ». Je me demandais comment il allait arriver jusque là… on y est arrivé, je suis allée chercher les fleurs qu’il a données à sa mère. A 18H elle m’appelait pour me dire que Thomas était mort. Le lendemain des obsèques elle demandait le divorce, son mari était devenu alcoolique, le couple s’était perdu dans la maladie de leur enfant. J’ai accompagné la maman pendant 6 mois après. La maladie d’une personne peut rapprocher ou détruire une famille,
- Il y a aussi Corinne qui voyait ses enfants à la sortie de l’école, tous les jours ils venaient à la clinique, apportaient des bougies, des livres, des fleurs, des huîtres qu’elle aimait. Elle me disait « il faut que je tienne jusqu’à ce que ma fille ait 18 ans », elle a tenu, un jour de plus,
- Jeanine qui a planifié en quelques semaines, de sa chambre d’hôpital, la succession de son entreprise, la vente de sa voiture, l’annonce à ses proches de sa mort imminente, elle a organisé son dernier Noël avec ses proches, en smoking, dans une petite salle prêtée par l’hôpital avec les plats d’un traiteur, Un moment inoubliable,
- Ce vieux Monsieur de 92 ans qui m’avait fait vivre sa déportation à Rawa-Ruska, ses tentatives d’évasion, les représailles humiliantes. Ses enfants et petits-enfants ne voulaient plus entendre cette histoire, il se sentait jeune quand il évoquait sa force de vivre dans ces moments épouvantables. Il me disait « ne me parlez pas de fin de vie, j’ai encore faim de vie ».
Et tant d’autres malades et personnes âgées puisqu’on accompagne plus de 500 personnes par an et autant de parcours de vie.